Choléra et Covid-19 : de l’internationalisation à la transmission
La Covid-19, pandémie rendue coupable de plus d’1 500 000 décès (1 934 784 au 11 janvier 2021), est régulièrement décrite comme l’une des plus grandes menaces que l’humanité ait eu à affronter. Qu’en est-il ?
Covid-19 une pandémie sécurisée ?
Les nombreuses références aux sacrifices endurés, aux menaces persistantes (…) sont autant de traces qui nous ramènent aux théories de « sécurisation ». Buzan en décrit le processus comme justificatif de mesures exceptionnelles prises à des fins politiques. Formulées de manière à surligner le caractère extraordinaire d’un contexte, elles sont l’origine de l’acceptation de la population concernant la prise de certaines mesures. La « macro-sécurisation » selon l’auteur (accompagné de Waever) octroierait aux acteurs politiques le contexte requis pour la priorisation de différents sujets perçus comme menaces. Ainsi voit-on multitudes de débats divisant les populations, experts et politiciens. Entre santé et économie : laquelle choisir ?
Pourtant si la Covid-19 ravage, il est utile de mettre en perspective son caractère extraordinaire. Bien que réduites en durée au fil des progrès médicaux, les pandémies ont accompagné l’Homme au cours de son histoire. La peste noire (1347-1353) en est un exemple. Apparue dans la région d’Hubei, elle se prolongea 6 ans et décima jusqu’à la moitié de la population d’Occident (de 25 à 60 millions). Plus proches de nous, la grippe espagnole (1918-1920), la grippe asiatique (1957-1958) et la grippe de Hong-Kong (1968-1970) firent respectivement 100 millions, 4 millions et un million de décès.
Internationalisation : facteur de propagation
L’internationalisation, nous le rappelle Valeska Huber, reste l’une des sources de cette persistance. Le choléra, dont l’auteur prend l’exemple, se serait ainsi propagé d’Inde lors de sa seconde vague (1826–37) pour atteindre l’Europe et l’Amérique du Nord. L’augmentation des échanges commerciaux en particulier augmenta sa transmission. Elle y surligna les méfaits de l’industrialisation, dont les impacts sanitaires sur l’eau amplifièrent la résistance. La pandémie accentua les inégalités présentes, notamment en matière d’accès à de l’eau sûre. En effet, les plus atteints furent les classes les plus pauvres. L’accès à des structures sanitaires de qualité leur fut parfois déficient. Elle souligna également la vulnérabilité des empires de l’époque. L’idée même d’une menace invisible, hors de leur contrôle, les mena droit à l’organisation de la première conférence internationale sur la santé. Précurseure de l’OMC, elle prit place en 1851.
Vers une politisation de la santé
Ces conférences influencèrent plus largement les sociétés qu’initialement prévu. Au cours des quatre vagues qui suivirent, elles aggravèrent les logiques d’expansions et de conquêtes impériales. Portrayant un agenda particulièrement Européen, elles furent un accélérateur de l’influence européenne sur l’Empire Ottoman et l’Égypte, décuplant leur dépendance. Les conseils de santé ottomans, établis pour contenir l’épidémie, furent ainsi principalement remplis d’experts européens, financés par l’empire. La surreprésentation de délégués et diplomates du continent y participa d’autant plus. L’impact des tensions entre pays européens et le manque de langue commune entre chaque partie rallongea la durée des conférences et les difficultés d’ententes. Les experts médicaux à leur tour, élevés au rang politique par l’apparition de cette menace invisible, se virent débattre sur les meilleurs modes d’opérations à prendre pour prévenir l’expansion de la maladie.
Au niveau individuel, elles furent le berceau des mesures de précautions prises par les États. Ici se définissaient les besoins nécessaires et les futurs comportements des citoyens, au nom de la santé internationale. L’option choisie fut la division des groupes de voyageurs en « groupes à risques » et « groupes non à risques ». Les premiers devaient s’isoler au moyen de quarantaines, les autres n’en avaient pas la nécessité. De peur de se voir dissous par la pandémie, et ce malgré leur expansion, les empires prirent de nouvelles mesures afin de préserver leurs intérêts commerciaux et politiques.
Des Casques bleus en tort
Cependant les transports commerciaux et d’individus ne sont point les seuls en cause dans la transmission du choléra. EN 2016, L’ONU reconnaissait sa responsabilité dans la transmission de la maladie sur l’île d’Haïti. L’organisation était accusée depuis 2010 de l’avoir amenée sur l’île, via l’un des bataillons de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) venu du Népal. Le pays, déjà affaibli par le séisme du 12 janvier 2010 (dix mois plus tôt), ne put contenir son expansion rapide. Le dernier cas identifié date de janvier 2019, après avoir rendu malade près de 820 000 personnes et causé 9 792 décès.
L’exemple du choléra nous offre, de fait, l’opportunité d’étudier le passé pour analyser le présent. La covid-19 s’éloigne-t-elle de ce chemin tracé par nos prédécesseurs?